La très puissante civilisation hittite a disparu en ne laissant (presque) aucune trace
À son apogée, l’ancienne cité d’Hattusa, capitale de la civilisation hittite, était à n’en pas douter sublime. Bâtie sur un flanc de colline abrupt de l’actuelle Turquie centrale, celle-ci était ceinte de grands murs de briques. Jusqu’à 7 000 habitants y vécurent, entre de vastes complexes religieux et au milieu d’un imposant rempart de pierre visible à des kilomètres. De nos jours, cette colline...

À son apogée, l’ancienne cité d’Hattusa, capitale de la civilisation hittite, était à n’en pas douter sublime. Bâtie sur un flanc de colline abrupt de l’actuelle Turquie centrale, celle-ci était ceinte de grands murs de briques. Jusqu’à 7 000 habitants y vécurent, entre de vastes complexes religieux et au milieu d’un imposant rempart de pierre visible à des kilomètres. De nos jours, cette colline n’abrite plus qu’une énigme.
Aucune colonne, aucun mur élevé ne trahissent les ruines du palais et des temples qui se tenaient là autrefois, seules affleurent leurs fondations de pierre à demi recouvertes par l’herbe sèche. Certaines des portes de la cité demeurent, gardées par des statues de lions, de sphinx et d’un dieu à la hache brandie. Mais tout a plus ou moins disparu. Les murs en brique d’adobe se sont effondrés au fil des siècles ; inondations et fontes des neiges ont érodé le coteau originel et précipité des édifices regorgeant de tablettes en argile valser en bas des pentes. Plus ténues encore sont les traces susceptibles d’expliquer ce qui arriva aux puissants Hittites, dont l’empire disparu commence tout juste à sortir véritablement de l’ombre grâce à la recherche.
La disparition des Hittites, vers 1180 avant notre ère, représente un numéro de volatilisation sans égal ou presque à travers l’Histoire. Pendant près de 450 ans, les Hittites contrôlèrent la plupart de l’actuelle Turquie et de ses environs, des eaux de la Méditerranée aux fleuves de Mésopotamie en passant par les rives de la mer Noire. Ils bâtirent des cités complexes, des temples impressionnants ainsi qu’un palais raffiné dans le paysage accidenté de la campagne anatolienne. Ils créèrent d’immenses archives abritant des tablettes cunéiformes où sont enregistrés d’innombrables langues anciennes et rituels sacrés. Les rois hittites tirèrent profit de routes commerciales qui s’étendaient bien au-delà de leur territoire. Leurs armées parvinrent même à faire une incursion profonde en Mésopotamie. Leur confrontation avec Ramsès II lors de la bataille de Qadesh aboutit d’ailleurs au premier traité de paix de l’Histoire.
« Ils avaient les moyens de se battre contre les Égyptiens, et les Babyloniens et les Assyriens durent les traiter comme leurs égaux », révèle Andreas Schachner, chercheur à l’Institut archéologique allemand, structure qui entreprend des fouilles sur le site d’Hattusa depuis près d’un siècle. Pourtant, « les Égyptiens, les Assyriens – tous laissèrent une trace dans la mémoire historique. Les Hittites, eux, ont été complètement effacés. »
La science ne reconnut l’existence des Hittites que 3 000 ans après leur disparition lorsque la découverte d’un ensemble de sculptures des temples égyptiens antiques et d’une correspondance diplomatique sur des tablettes d’argile suscita une chasse internationale pour retrouver l’emplacement de leur capitale. Rien ou presque ne subsistait sur le site présumé hormis des fondations monumentales, mais les fouilles réalisées là au début du 20e siècle permirent de mettre au jour une kyrielle de tablettes cunéiformes en argile confirmant les soupçons de ceux qui voyaient en Hattusa la capitale perdue des Hittites.
À partir de ce qui continua à émerger à Hattusa, qui fut une plaque commerciale, culturelle et militaire foisonnante, les chercheurs ont pu dresser une archive éloquente de la vie au sein de l’empire. Ils ont assemblé des détails sur les moindres choses, qu’il s’agisse de querelles royales, de cérémonies religieuses ou de la sanction appropriée à administrer à qui a tué un chien. Malgré cela, les causes de l’effondrement de l’empire demeurent mystérieuses. Comment les redoutables Hittites ont-ils pu disparaître sans laisser de traces ? Et quels enseignements tirer aujourd’hui de leur fin abrupte ?
Entre le début du mois de juin et la fin du mois d’octobre, Andreas Schachner passe sept jours par semaine à quadriller Hattusa et à superviser une équipe d’archéologues turcs et allemands, ainsi qu’une multitude d’ouvriers locaux. Il traverse les collines de la cité dans un vieux van en compagnie de Nox, son chien noir qui le suit partout. En sa qualité de directeur des fouilles de l’Institut archéologique allemand, il s’efforce depuis 2006 de donner du sens à l’amas de ruines du site. « Rien n’est à sa place d’origine, soupire-t-il. Il y a eu tant de dégâts. »
Un jour, voilà peu, je l’ai rejoint au niveau du complexe du Grand temple de la cité, un pôle regroupant espaces rituels, cours, réserves et chambres secrètes non loin des anciennes portes septentrionales d’Hattusa. Je l’ai suivi alors qu’il se faufilait entre des blocs de pierre qui lui arrivaient à la taille, désignant régulièrement de la main les murs qui devaient s’élever là, enduits et possiblement peints, à dix mètres au-dessus nos têtes. Il m’a emmené dans un espace autrefois considéré comme le centre de l’univers hittite : le Grand temple, dédié au dieu de l’orage, Tarhunna, et à sa partenaire, la déesse du soleil, Arinna. Les fondations entourant le temple préservent la silhouette de quatre-vingts réserves qui contenaient des récipients remplis de vin, d’eau et de céréales. Les chercheurs ont découvert des inventaires laissant entrevoir les richesses stockées dans le trésor du temple. « Quand le roi revenait d’une campagne, le butin revenait dans son intégralité au dieu de l’orage, m’a-t-il appris. C’est ici qu’il l’aurait apporté. »
Toute cette infrastructure était entourée de murs d’enceinte solides, conçus pour composer avec les pentes abruptes et les ravins profonds de ce terrain accidenté et dont le périmètre courait sur 6,5 kilomètres. Entre 2003 et 2006, un segment de 64 mètres fut reconstruit à l’aide uniquement de matériaux auxquels les Hittites auraient pu avoir accès, notamment du bois, de la pierre et 3 000 tonnes de briques d’adobe. À partir de cette expérience, les chercheurs ont calculé que la construction de 800 mètres de mur aurait pris une année à mille hommes, un exploit logistique impressionnant.
Lors de ma visite avec Andreas Schachner, je l’ai accompagné dans son van, qui nous menait sur une route sinueuse à une voie en direction du point culminant d’Hattusa. Ici subsiste le plus impressionnant projet d’édifice de la cité : Yerkapı, un long rempart de quarante mètres de hauteur pour 250 mètres de longueur. Ce talus incrusté de pierres blanches comprend une porte étroite ornée de statues de sphinx. Un pan du mur protecteur de la ville court au-dessus de son sommet, ce qui n’enlève rien à son aspect imposant, bien au contraire.
Par temps clair, cet édifice monumental est visible à 19 kilomètres et renvoie une lumière blanche au milieu des sommets verts et gris. « Imaginez l’ambassadeur de Babylone, qui a tout vu, puis il franchit ce virage et aperçoit cet édifice aussi spectaculaire que tout ce que l’on peut trouver en Mésopotamie et en Égypte. J’ai vu beaucoup de sites et il ne m’en vient pas un seul à l’esprit qui soit aussi spectaculaire vu de loin que celui-ci. C’est ainsi qu’ils ont exercé leur pouvoir sur le paysage. »
Curieusement, Hattusa continue de livrer de nouveaux secrets. Le lendemain de mon excursion au sommet de la montagne avec Andreas Schachner, j’y suis retourné pour retrouver Bülent Genç que j’ai rejoint à l’entrée d’un tunnel qui passe sous le rempart. Il se tenait dans un passage voûté d’un peu moins de trois mètres de haut pour soixante-dix mètres de long et assez large pour que deux personnes puissent y marcher côte à côte.
En entrant dans ce tunnel sombre, j’ai soudain pris conscience des centaines de tonnes de terre et de roche qui se trouvaient au-dessus de nos têtes. Bülent Genç, petit-fils de maçon, n’était pas inquiet. « Tout cela s’interconnecte, comme une tapisserie faite de pierre », a-t-il dit en désignant les parois du tunnel. « Il faut d’excellents maçons pour faire cela. »
À mi-chemin, nous nous sommes arrêtés. En se baissant presque au niveau du sol, Bülent Genç m’a montré une peinture rosâtre de la taille d’une paume de main sur la paroi rocheuse, l’un des 249 symboles qu’il a découverts dans le tunnel en 2022. Ces symboles – chaque glyphe représente un mot – étaient étonnamment passés inaperçus. Ni les centaines d’archéologues, ni les centaines de touristes curieux qui ont traversé le tunnel depuis sa redécouverte en 1834 ne les avaient vus.
Depuis la découverte de Bülent Genç, réalisée grâce à la simple lumière de son téléphone, Andreas Schachner a travaillé avec des spécialistes de l’imagerie pour scanner l’intérieur du tunnel et créer un modèle en 3D qui pourrait aider les scientifiques à se figurer l’importance de ces symboles. Par exemple, certaines marques apparaissent par groupes de trois, comme les glyphes signifiant « montagne » et « chemin » et le symbole représentant la montagne sacrée Tudhaliya ainsi que le dieu du même nom. « Peut-être que cela voulait dire : “Le chemin à travers le mont Tudhaliya.” », se demande Andreas Schachner.
Loin du tunnel, des symboles d’un mur très différent ont fourni des informations cruciales sur le rayonnement et le pouvoir des Hittites. Quand des archéologues ont mis au jour le temple funéraire de Ramsès II (également Ramsès le Grand), en Égypte, ils ont découvert des allusions à une bataille qui demeure peut-être la contribution la plus durable des Hittites à l’Histoire.
Dans son temple situé sur les rives du Nil, Ramsès, l’un des souverains les plus puissants que l’Égypte ait connus, fit documenter les épisodes les plus mémorables de son règne, y compris la bataille qu’il livra en 1274 avant notre ère aux forces du roi hittite Muwatalli II, à Qadesh, cité antique située non loin de l’actuelle Damas. Un relief courant du sol au plafond dépeint les prouesses du pharaon face à 50 000 guerriers hittites, une estimation du pharaon. Chars égyptiens et hittites font des cabrioles et chargent tandis qu’un Ramsès démesuré contemple le chaos sanglant.
De nos jours, de nombreux historiens considèrent la bataille de Qadesh comme la plus grande bataille de chars jamais livrée. Plutôt qu’une victoire retentissante pour Ramsès II, les combats aboutirent vraisemblablement dans une impasse : la frontière séparant les deux empires bougea à peine.
Les relations entre les deux puissances demeurèrent indécises pendant quinze années, jusqu’à ce que Ramsès II et le successeur de Muwatalli concluent le plus ancien traité de parité du monde. Gravé sur des tablettes d’argent, avec des copies en argile, l’accord, signé en 1259 avant notre ère, promettait aide mutuelle en cas d’invasion ainsi qu’une « bonne paix et une bonne fraternité entre la terre d’Égypte et la terre d’Hatti pour l’éternité. »
L’accord marqua un tournant décisif dans les annales de la diplomatie. « Jusqu’à ce moment-là, la règle était que le gagnant raflait la mise. Les traités de paix, c’était les vainqueurs qui dictaient leur loi aux vaincus, fait observer Andreas Schachner. Les Hittites et les Égyptiens décidèrent de ne pas poursuivre sur cette voie. » Le traité de Qadesh décrit les deux souverains comme des égaux et la paix comme une fin en elle-même. C’est le début de la diplomatie moderne ; et l’une des raisons pour lesquelles une copie de l’accord est accrochée au siège des Nations unies, à New York. Un original en argile fragmenté, découvert à Hattusa en 1906, est exposé au musée de l’aéroport d’Istanbul.
La diplomatie et la religion étaient des outils cruciaux pour les Hittites, qui appelaient leur empire la Terre des Mille Dieux. Quand ils conquéraient ou prenaient le contrôle d’un groupe de personnes, ils autorisaient les vaincus à conserver leurs pratiques religieuses. Plutôt que d’effacer les déités locales, ils les intégraient à l’Empire hittite et à son panthéon. Des statues sacrées issues de temples, qui seraient l’incarnation des dieux eux-mêmes, ont été transportées jusqu’au quartier religieux d’Hattusa et vénérées là comme on les vénérait ailleurs auparavant.
Les archives des temples témoignent des problèmes qu’impliquait une telle approche, comme le fait que certains dieux ne parlaient pas hittite. Par exemple, après qu’un nouveau dieu fut importé de l’île de Lesbos, les Hittites se rendirent compte que personne ne savait comment s’adresser à lui. On sacrifia alors un mouton et on examina ses entrailles afin de savoir si le nouveau dieu pouvait accepter d’être vénéré à la manière hittite (la réponse discernée dans les intestins du mouton fut apparemment positive). « Ils ne voulaient pas courroucer les dieux », ainsi que l’affirme Willemijn Waal, hittologue de l’Université de Leyde, aux Pays-Bas. « Mais dans le même temps, ils sont très pragmatiques. C’est un peu attendrissant. »
C’était aussi l’une des clés de leur succès. « Ils étaient capables de réunir des gens, non au moyen d’un despotisme brutal, mais par la persuasion, grâce à la religion et aux croyances, ajoute Andreas Schachner. C’est unique. C’est ce qui les rend si spéciaux. »
Ce que nous savons des Hittites est, selon les standards de l’Histoire antique, extraordinairement nouveau. L’écriture hittite ne fut pas déchiffrée avant 1915, quand un linguiste de Prague, Bedřich Hrozný, se rendit compte que les tablettes exhumées étaient écrites dans une langue indo-européenne ; le plus ancien membre à date d’une famille qui inclut aujourd’hui aussi bien l’anglais que le sanskrit. Au cours du siècle dernier, plus de 30 000 vestiges de tablettes d’argile furent recueillis à Hattusa et dans d’autres cités hittites. On en découvre davantage chaque année. Ce flux constant d’informations nouvelles fait de l’hittologie l’un des champs les plus dynamiques et les plus changeants de l’Histoire antique.
Tard, une après-midi, je trouve Daniel Schwemer, chercheur à l’Université de Wurtzbourg, assis à une table de la « maison des fouilles » de l’Institut archéologique allemand, à Boğazkale, le village situé à côté des ruines d’Hattusa. Daniel Schwemer fait partie d’une petite communauté d’universitaires spécialisés dans la lecture et dans la traduction des textes hittites. Chaque automne, il se rend à Hattusa pour voir ce qui a été découvert durant les fouilles estivales. « C’est un peu comme déballer des cadeaux de Noël, plaisante-t-il. Vous ne savez jamais vraiment ce que vous allez avoir. »
Chaque nouvelle découverte a le potentiel de bouleverser ce que nous savons sur les empires de l’âge du bronze. C’est « un domaine où l’Histoire est encore en train de s’écrire, explique-t-il. Des documents que personne n’a vus depuis des milliers d’années sont en train de sortir de terre. »
Bien entendu, les réponses à l’une des questions qui se trouvent au cœur de la recherche sur les Hittites continuent de nous échapper : que leur est-il arrivé ? Les théories ne manquent pas (instabilité politique, changements climatiques), mais il semble improbable qu’il n’y ait qu’une raison à leur disparition. « Une raison unique ne peut expliquer pourquoi une société complexe se désintègre et disparaît complètement de l’Histoire », affirme Andreas Schachner. À la place, il est probable qu’un « tourbillon parfait » de facteurs ait poussé les Hittites jusque dans leurs retranchements, avant qu’ils ne sombrent.
Les pillards représentaient par exemple une menace constante. Des tribus désignées par le nom de Kaska vivant sur le littoral de la mer Noire sont évoquées sur les tablettes. Ils détruisaient les temples, profanaient les statues avant de répartir « les prêtres, les grands prêtres, les prêtresses, les oints, les musiciens, les chanteurs, les cuisiniers, les boulangers, les laboureurs et les jardiniers, et [faisaient] d’eux leurs serviteurs ».
Les catastrophes naturelles mirent, elles aussi, l’Empire hittite à rude épreuve. Des découvertes récentes réalisées sur un site du nom de Şapinuva suggère que de puissants séismes frappaient régulièrement le cœur du territoire hittite. À 65 kilomètres environ au nord-est d’Hattusa, dans le complexe du palais et du temple de Şapinuva, des fouilles ont révélé des murs et des sols ridés comme des vagues. Les archéologues ont découvert des édifices et des entrepôts brûlés dans un incendie géant, autant d’indices qu’un séisme dévastateur frappa la cité.
Les Hittites surent faire face à ces défis, ainsi qu’à d’autres, durant des années, jusqu’à ce que, soudainement, ce ne soit plus le cas. Dès 1250 avant notre ère environ, les tablettes commencèrent à trahir les tensions qui marquèrent le dernier siècle de l’Empire. Luttes picrocholines au palais et assassinats royaux devinrent endémiques, ce qui compliqua la tâche des chefs d’Hattusa pour ce qui est du maintien de leur pouvoir sur leurs sujets. Les épidémies furent un problème également : sur les tablettes figurent des prières pour repousser les pestes. De plus, des changements dans la langue et dans les styles d’écriture au cours dernières décennies de l’empire témoignent peut-être de conflits ou de bouleversements sociaux et sont de possibles signes que l’État multiethnique des Hittites connaissait des tensions.
Les derniers résultats en date suggèrent qu’un changement climatique et une série de catastrophes naturelles contribuèrent l’accélération du déclin de l’empire. Dans une étude parue en 2023, des chercheurs ont analysé du bois préservé récupéré à Gordion, cité des confins occidentaux de l’Empire hittite. En mesurant les cernes des arbres, ils ont pu établir que les forêts avoisinantes avaient subi un stress exceptionnel entre 1196 et 1198 avant notre ère, une sécheresse éprouvante de trois ans survenue à peu près au moment où l’Empire hittite touchait à sa fin.
La sécheresse a pu susciter une famine. Des archéologues ont découvert des dépôts de céréales vides à Hattusa, à Şapinuva et dans d’autres cités hittites abandonnées. Des lettres reflètent le désespoir des rois hittites, qui supplièrent des souverains étrangers d’envoyer de l’orge et du blé, « une question de vie ou de mort ». De plus, des envahisseurs que des chroniques égyptiennes appellent « Peuples de la Mer » provoquèrent un chaos qui se propagea dans toute la Méditerranée, affaiblissant de vieilles alliances et déclenchant des migrations de masse. « Ça a été la cerise le gâteau », déclare Bülent Genç.
Vers 1180 avant notre ère, les Hittites abandonnèrent méthodiquement leur capitale. Il n’y a aucun signe de bataille ou de conquête ; pas de fosses communes, pas de tours renversées, ni de bâtiments effondrés. Les réserves du temples, remplies de récipients en or et en argent, de lances dorées et de butins obtenus lors de campagnes militaires fructueuses, soigneusement répertoriées dans des instructions pour des festivals et dans des inventaires, mais aujourd’hui disparues, ont certainement été empaquetées, puis emportées.
Puis, la cité brûla. Dans une ultime ironie, les flammes qui détruisirent Hattusa préservèrent son histoire : trop lourdes pour être emportées, les milliers de tablettes d’argile que les Hittites avaient accumulées pendant près de quatre siècles furent abandonnées. Le feu les cuisit au point d’en faire des briques, ce qui leur permit d’émerger intactes des siècles qui suivirent. « L’avantage, pour nous, est que toutes ces tablettes d’argiles ont été abandonnées quand tout le monde fuyait la capitale, explique Daniel Schwemer. Ce qui est resté, c’est la paperasse. »
Jusqu’à ce que soit exhumée une tablette racontant les derniers jours d’Hattusa, l’énigme demeure. Les Hittites réussirent à s’adapter à un environnement rude et à devenir un empire redoutable en dépit de ce cadre, jusqu’à ce que des circonstances échappant à leur contrôle ne fassent basculer un équilibre fragile. L’effondrement des Hittites, et leur redécouverte récente, témoigne de l’importance de la résilience… et de la bonne tenue de ses archives.