Comment les femelles bonobos s’unissent contre les mâles

Pourquoi les femelles bonobos ont-elles des positions plus élevées dans leur société que les mâles, là où l’inverse est vrai chez la plupart des mammifères sociaux, comme leurs proches cousins, les chimpanzés ?C’est la question à laquelle Martin Surbeck et ses collègues souhaitaient répondre. Après avoir observé six communautés de bonobos pendant presque trente ans en République Démocratique du...

Avr 29, 2025 - 08:40
Comment les femelles bonobos s’unissent contre les mâles

Pourquoi les femelles bonobos ont-elles des positions plus élevées dans leur société que les mâles, là où l’inverse est vrai chez la plupart des mammifères sociaux, comme leurs proches cousins, les chimpanzés ?

C’est la question à laquelle Martin Surbeck et ses collègues souhaitaient répondre. Après avoir observé six communautés de bonobos pendant presque trente ans en République Démocratique du Congo, ils ont abouti à une conclusion.

En s’associant en coalitions, c’est-à-dire des groupes de deux animaux ou plus, le plus souvent entre trois et cinq spécimens, les femelles bonobos peuvent réduire le danger que constituent les mâles, et ainsi se propulser jusqu’à des positions d’influence. Environ 85 % des agressions de femelles en coalition étaient dirigées vers des mâles, qui ont tendance à être plus imposants que les femelles.

« Nous avez vérifié ce que tout le monde sait déjà : on a plus de pouvoir lorsque l’on travaille en équipe », explique Martin Surbeck, éthologue de l’université d’Harvard et principal auteur d’une étude publiée en avril dans la revue scientifique Communications Biology.

« Au sein des communautés de bonobos, les femelles ont beaucoup de choses à dire. Et c’est très différent des communautés de chimpanzé, dans lesquelles les mâles adultes sont plus importants que toutes les femelles du groupe et où les femelles sexuellement attirantes sont plus souvent victimes d’agression… de la part des mâles », continue le scientifique.

L’étude se base sur « un jeu de données impressionnant » pour ouvrir « une fenêtre exaltante sur la façon qu’ont les femelles bonobos de construire et maintenir leur pouvoir », explique Laura Simone Lewis, anthropologue biologique de l’université Berkeley en Californie, qui n’a pas pris part à l’étude.

« Étant donné que les bonobos sont nos cousins les plus proches, avec les chimpanzés, ces données attestent également que les humains et nos ancêtres ont probablement eu recours à des coalitions pour accéder et rester au pouvoir depuis des millions d’années », ajoute-t-elle.

 

LA RÉVOLUTION

Les six communautés de bonobos observées au cours de l’étude ont montré différents niveaux de coopération et de domination chez les femelles. « Il y a des variations substantielles de ce trait du pouvoir féminin au sein des groupes et nous avons découvert que la formation de coalitions chez les femelles semble expliquer un grand nombre d’entre elles », explique Martin Surbeck.

L’éthologue et ses collègues ont mesuré le « rang » au sein des communautés, en comptant le nombre de fois où les femelles remportaient des conflits contre des mâles ainsi qu’en évaluant le pourcentage de mâles qui, dans le groupe, étaient moins hauts gradés que les femelles. Par exemple, bien que les mâles chimpanzés soient toujours plus importants que les femelles, chez les bonobos elles sont mieux classées dans leur société que 70 % des mâles. À noter que tout ceci variait selon les sites et le temps.

En 1998, les femelles de la communauté Eyengo ne reculaient jamais devant un conflit contre un mâle, et ces derniers étaient toujours moins importants qu’elles. Cela était en grande partie vrai pour les femelles du groupe Kokolopori en 2020, qui dominaient 98,4 % des conflits avec les mâles. Cependant, en un mystérieux revirement de situation, au sein de la communauté Ekalakala, les mâles n’étaient soumis aux femelles que dans 18,2 % des cas en 2006.

La différence entre les groupes ? Lorsque les femelles se soutenaient plus souvent, elles remportaient des conflits individuels et s’élevaient au sein de la société. 

Curieusement, les mâles participaient parfois aux coalitions entre femelles pour s’opposer à d’autres mâles. Les scientifiques remarquent cependant qu’ils ne menaient jamais la charge, pour ainsi dire. La formation de coalitions de femelles semblait également se passer après différents éléments déclencheurs sur les différents sites. À Wamba, les femelles bonobos ont fait équipe après que les mâles ont agi de manière agressive envers des femelles matures. Toutefois, au sein des trois autres communautés, les coalitions se sont formées à cause d’agressions de mâles à l’encontre de petits.

Dans ces alliances, les femelles n’étaient le plus souvent pas de la même famille, ni amies.

« Le degré de variations des coalitions de femelles et du pouvoir qu’elles exercent en tant qu’individus au sein des communautés de bonobos fait partie de l’une des découvertes les plus fascinantes de cette étude », confie Zanna Clay, primatologue et psychologue comparative à l’université de Durham, au Royaume-Uni, qui n’a pas pris part à la récente étude. « Cela remet en question la vision de la “taille unique” de nos plus proches cousins, et suggère que, comme nous, leur comportement et leurs traits montrent une nuance fascinante ainsi que des variations importantes. »

 

« LE PATRIARCAT N’EST PAS INÉVITABLE »

Bien qu’aucune étude menée sur les animaux ne devrait être vue comme ayant un lien direct avec les facteurs complexes en jeu au sein de la société humaine, les bonobos et les chimpanzés apportent une perspective sur notre passé évolutif. « Les femmes sont souvent les victimes de la violence des hommes à travers le monde », déplore Laura Simone Lewis. « Cette étude pourrait donner aux femmes de nouvelles idées pour construire leur pouvoir et ainsi mieux nous protéger de la violence masculine, en formant et en maintenant des coalitions, des alliances les unes avec les autres, à l’instar des bonobos. »

Martin Surbeck est également de l’avis que les humains ont des leçons à tirer de cette étude.

« Elle nous dit que la dominance des mâles et le patriarcat ne sont pas inévitables d’un point de vue de l'évolution », dit-il. « Cela renforce l’idée que les primates et les humains sont très innovateurs et souples dans leur comportement. Je pense que l’on peut dire que cette étude nous donne de l’espoir. »