La bataille de Montarperti, l'affrontement sanglant entre Sienne et Florence

C’est dans un contexte tumultueux de rivalités entre cités, où s’opposaient des loyautés et des sympathies divergentes qu'eut lieu cette confrontation dans la Toscane médiévale. Plus précisément en raison d’ambitions économiques, politiques et territoriales. Le matin du 4 septembre 1260, sur les rives de Sienne, la bataille sanglante entre les Guelfes de Florence, soutenus par le pape, et les...

Avr 29, 2025 - 14:20
La bataille de Montarperti, l'affrontement sanglant entre Sienne et Florence

C’est dans un contexte tumultueux de rivalités entre cités, où s’opposaient des loyautés et des sympathies divergentes qu'eut lieu cette confrontation dans la Toscane médiévale. Plus précisément en raison d’ambitions économiques, politiques et territoriales. Le matin du 4 septembre 1260, sur les rives de Sienne, la bataille sanglante entre les Guelfes de Florence, soutenus par le pape, et les Gibelins de Sienne, fidèles à l’Empereur, marqua l’histoire de la Toscane, laissant une empreinte qui continue d’influencer l’identité italienne.

Si la bataille de Montaperti illustra ces luttes de pouvoir, elle dessina également le paysage politique et social de la Toscane au Moyen Âge. À partir de l’an 1000, Florence et Sienne, les deux principales cités-États, rivalisaient en tant que puissances concurrentes dans le commerce et la finance. Tandis que Florence, traversée par l’Arno, bénéficiait d’une position géographique offrant un accès privilégié aux voies navigables, Sienne était située sur la Via Francigena, une route commerciale stratégique entre Rome et le Saint-Empire, attirant de nombreux pèlerins et favorisant les échanges marchands. La prospérité de ces deux cités créa pourtant, au fil du temps, des rivalités et des tensions économiques et politiques.

Les Guelfes, partisans de l’autorité papale, se heurtèrent aux Gibelins qui soutenaient l’empereur Manfred de Sicile, fils illégitime de Frédéric II. Plusieurs conflits territoriaux éclatèrent entre les deux villes toscanes. En 1255, des exilés florentins, parmi lesquels des figures influentes comme Farinata degli Uberti, cité dans le chant de l’Enfer de Danteextrait de la Divine Comédie, furent accueillis par Sienne, provoquant la colère des Guelfes de Florence. Le pacte d’assistance réciproque, signé entre les Guelfes et les Gibelins en 1251, fut alors mis à mal. La rancœur des Florentins et les luttes de pouvoir qui se dessinèrent se traduisirent par des alliances et des conspirations. Les deux clans commencèrent à s’armer. 

Les tensions étaient à leur paroxysme lorsqu’en 1258, Florence, forte du développement de sa puissance militaire, chercha à s’étendre. Acculés, les Siennois se hâtèrent d’organiser leurs préparatifs militaires, rassemblèrent leurs troupes et renforcèrent leurs alliances et leurs appuis, notamment celui de l’empereur Manfred de Sicile. La situation dégénéra rapidement. 

L’objectif des Florentins était de reconquérir des territoires stratégiques, notamment ceux de Montepulciano et Montalcino. En 1259, l’alliance entre Sienne et l’Empire se concrétisa par l’envoi de chevaliers allemands. En juillet 1260, devant les attaques répétées des Guelfes, Manfred renforça encore son soutien à Sienne. Face à cette montée en puissance des Gibelins, Florence mobilisa 34 000 hommes. Les tensions atteignirent ainsi leur point culminant lorsque le 4 septembre 1260, au petit matin, à proximité de la rivière Arbia, l’affrontement de Montaperti commença. 

L’environnement géographique et stratégique joua un rôle crucial dans le déroulement de la bataille. Dirigés par Provenzano Salvani, les Gibelins, profitant de leur connaissance du terrain, adoptèrent une stratégie d’encerclement. Sienne, en position défensive, exploita la détermination de son armée. Forts des chevaliers et soldats envoyés par l’empereur, et du soutien de Farinata degli Uberti, héros de la lutte contre Florence, ils défendirent sans relâche leur territoire.

 

LA DÉROUTE DE MONTAPERTI

La bataille fut marquée par la trahison de Bocca degli Abati, un noble florentin qui, brusquement, trancha la main du porte-étendard guelfe Jacopo de’ Pazzi. Cet acte prémédité provoqua désordre et panique dans les rangs florentins et renversa irrémédiablement le cours de la bataille. Ainsi, malgré leur infériorité numérique, les Siennois infligèrent une défaite cinglante aux Guelfes de Florence. Bocca degli Abati, guelfe au début du conflit, revint victorieux à Florence au sein des rangs Gibelins, associant durablement son nom à la trahison dans l’histoire florentine. 

On rapporta environ 10 000 morts et 15 000 prisonniers parmi les Guelfes, et des pertes limitées à 1 000 hommes du coté gibelin - 600 morts et 400 hommes capturés, symbolisant la victoire écrasante de Sienne. Le choc de la défaite fut rude pour Florence. Les Guelfes fuirent et se réfugièrent à Lucques et Bologne, laissant derrière eux leurs biens et leurs propriétés, ce qui permit aux Siennois d’y célébrer leur victoire et d’asseoir leur pouvoir, allant jusqu’à envisager la destruction de Florence. Cette idée fut heureusement abandonnée grâce à l’intervention de Farinata, ardent défenseur de la ville. Malgré leur triomphe éclatant, les Gibelins peinèrent à consolider leur domination. L’excommunication des partisans de Manfred par le pape Alexandre IV et les rivalités internes affaiblirent leur position. Les Guelfes, humiliés et désireux de prendre au plus vite leur revanche, commencèrent à se réorganiser. En 1266, une coalition parvint à reconquérir Florence, intensifiant les conflits internes en Toscane. Puis en 1269, lors de la bataille de Colle – ou Colle di Val d’Elsa, Sienne subit à son tour une lourde défaite, scellant la fin de la domination gibeline. 

 

UNE IDENTITÉ COLLECTIVE

La bataille de Montaperti demeure un symbole des luttes territoriales et culturelles qui ont marqué non seulement la Toscane, mais également l’ensemble de la péninsule italienne. Dans son ouvrage The Legend of Montaperti, l’historien Brad Franco explore cet affrontement historique, évoquant notamment la protection de la Vierge Marie. Selon des traditions locales et orales, avant la bataille de Montarperti, Sienne se serait placée sous la protection de la Vierge en remettant les clés de la ville devant un autel marial

Ce récit est devenu un élément central de l’identité siennoise, soulignant un lien sacré et une ferveur religieuse qui perdurent à travers les siècles. Au fil du temps, la commémoration de Montaperti s’est transformée en rituel annuel, la ville organisant des processions solennelles en l’honneur de la Vierge. Cependant, cette glorification rappelle également les alliances, les conflits et les trahisons qui ont façonné la structure sociale de la Toscane médiévale et moderne, nourrissant des tensions sous-jacentes, des rivalités et un fort sentiment d’appartenance régionale et nationale. Selon la professeure de littérature et de civilisation italienne du Moyen Âge, Colette Gros, dans le chapitre Montaperti, entre défaite et trahison de l’ouvrage collectif Faire l’événement au Moyen Âge, cette bataille est devenue fondatrice de l’identité collective italienne, mêlant le traumatisme et l’obsession des raisons de la défaite, – l’attribuant à une trahison plutôt qu’à la supériorité siennoise ­– à la fierté de la victoire de Sienne, déjouant les pronostics liés à l’infériorité du nombre. 

De son époque médiévale et des batailles qui l’ont marquée, l’Italie moderne conserve un héritage culturel qui influence encore ses relations interpersonnelles et sa dynamique sociétale, notamment à travers la littérature, les arts et des festivals locaux qui participent à entretenir cette mémoire collective, marquée par la passion et le régionalisme. Ainsi, chaque année, Sienne continue de célébrer sa victoire à Montaperti. Parmi les événements commémoratifs, la célèbre course du Palio – une course de chevaux où les contrade (quartiers) s’affrontent deux fois par an sur la Piazza del Campo, perpétue le mythe.